La douleur de l’accouchement

La douleur de l’accouchement

Quand Maëlle a accouché d’Antoine tout s’est passé trop vite pour pouvoir recevoir une péridurale. Elle a enfanté son troisième fils normalement, sans béquille médicale.

« J’ai même pu aider à l’accouchement, à un moment, j’ai senti que ça bloquait, alors j’ai donné un petit coup de bassin, comme ça, et hop ! il est passé. Avec les deux premiers j’étais sous péridurale : tu ne sens rien, tu ne peux rien faire. »

Elle ajoute:

« Avec la péridurale tu vas mal, tu mets deux jours à t’en extraire, alors que là, je gambadais le jour même. »

 « J’ai même pu aider à l’accouchement de mon enfant ». Pour la médecine il est secondaire, voire contreproductif, qu’une femme puisse aider la venue au monde de l’être vivant qui a grandi en elle.

Les standards de la médecine sont les même que ceux de la rationalité. En deux mots : prévisibilité, comptabilité. L’amour n’est ni prévisible ni quantifiable, ce qui le disqualifie raisonnablement donc systématiquement, comme critère de choix pour quoi que ce soit.

Telle femme peut être en souffrance ou mal disposée, elle peut accoucher d’un bébé non désiré ou impossible à intégrer dans un mode de vie hors de contrôle. C’est réel. Préparer ou réparer psychologiquement des femmes et des hommes parfois immatures la veille de l’accouchement est impossible.

Face à la réalité la méthode rationnelle effectue toujours des simplifications : la femme contient un enfant qui doit sortir en évitant souffrance et mort. Il n’est question que de coûts : vie+argent+temps. Comme la femme peut imprévisiblement gêner la « sortie » à cause de la douleur on l’anesthésie systématiquement. Dans certains cas, elle peut gêner physiologiquement : en plus, on l’ouvre.

Diminution de la mortalité, coûts maîtrisés : la comptabilité y trouve son compte ce qui prouve que c’est la bonne méthode. La qualité n’est pas quantifiable, du coup elle passe aux pertes et profits. Peut être que droguer et charcuter femme et enfant a des retombées, mais ce que l’on ne peut pas compter n’existe pas. Donc exit cette considération devant le taux de natalité.

Ça sera encore mieux quand on saura faire pousser les unités de production hors la mère, dans un sac surveillé par IA. Vous savez que je n’exagère pas le trait, on ne le fait pas encore pour une seule raison : on ne sait pas faire.

Ce comportement universel de l’époque a un nom : hyper-rationalité, terme qui désigne universellement la folie normale de notre époque. Pour toi, c’est un moment unique, incroyable, décisif… Pour eux c’est l’usine. Tu n’auras pas raison, parce que la Raison, c’est eux.

L’hyper-rationalité, c’est quand l’opposé de la raison n’a plus voix au chapitre. Il n’y a pas de mot pour ce contraire, donc on inverse le mot de référence, ça donne : irrationalité, déraison, folie. L’amour est déraison, mais c’est pourtant lui qui commande dès le départ : je désire cet enfant, je l’ai accompagné, je l’accompagne et je l’accompagnerai.

Non : il ira dans une crèche pendant que les parents travaillent, il sera scolarisé pendant la plus belle décennie de sa vie et il apprendra scrupuleusement, violemment s’il le faut, à ne pas jouer et à être raisonnable. Il mangera de la mauvaise bouffe devant la télé étendue et quand il sera grand et qu’il aura des enfants, il rangera papa et maman dans un endroit spécialisé où il n’ira jamais les voir, parce que, « vous comprenez, j’ai une vie de famille ».

La souffrance est une bifurcation. L’absence de souffrance est absence de bifurcation. Maëlle a souffert pendant l’accouchement, elle le dit. Mais elle n’en parle pas comme d’un sale moment qu’elle voudrait oublier. Elle en parle comme d’un moment difficile et nécessaire qu’elle est heureuse d’avoir vécu : elle est sereine en disant ça et son regard porte loin.

La souffrance, physiologique ou psychique, c’est quelque chose entre la douleur brève et l’inconfort qui dure. Il y a un paradoxe apparent dans la souffrance : elle nous rapproche de la mort et elle est thérapeutique. Rappelons qu’il n’est de paradoxe que quand on ignore le fonctionnement du monde, qui est l’alternance des situations : « Il y a une chose qui ne change jamais, c’est le fait que tout change ». Après la pluie, le beau temps ; après le beau temps, la pluie. Avoir peur de la souffrance, c’est mal la vivre quand elle est là. Eviter la souffrance, c’est éviter le bonheur, pire c’est éviter de grandir.

Être drogués, l’enfant ne l’est-il pas lui aussi ? pour vivre ces minutes décisives pour toute une vie ? Être droguée pour dire à son enfant drogué : « viens au monde, tu es espéré » ? C’est intelligent ?

Plutôt que d’avoir vécu l’arrivée de cette chose dans un état détaché et cotonneux, Maëlle et son enfant ont vécu à deux cette venue au monde, dans une présence aiguisée par la difficulté initiatique. Ils ont passé ensemble la douleur. C’est un accomplissement, c’est une complicité à tout jamais. Souffrir ensemble crée les plus puissants des liens.

Un traumatisme est une souffrance qui ne s’arrête jamais. On sait que plus un traumatisme psychologique est vécu proche de la naissance, plus il sera indéracinable.

Ne pas vivre une épreuve de la vie, ou la rater, peut produire un traumatisme grave. La difficulté de l’épreuve est autant dans l’anticipation de la souffrance qui a lieu lors d’un changement d’état important, que dans son advenue. La qualité de passation d’une épreuve dépend de la conscience que l’on a de ce changement. Si manquer l’épreuve peut ancrer un traumatisme, la réussir n’est elle pas ancrer le bonheur de grandir ? N’est ce pas la fonction même de l’épreuve ?

Maëlle et celui qui devenait Antoine n’ont-ils pas créé là un bonheur indéracinable ?

Evidemment l’esprit clair et aimant de Maëlle à ce moment là a été décisif à l’équation et c’est le hasard qui a fait le reste. Quoiqu’il en soit l’Antoine d’aujourd’hui est un admirable bébé qui semble rempli de la sérénité d’un être plein et mature ; ses frères sont comme en arrêt devant lui et sa maman est béate.

Cet article a 1 commentaire

  1. Patricia Cayzeele

    C’est du vécu! Très belle analyse de la souffrance! Je me souviens des docteurs qui m’obligeaient à prendre des médicaments pour ne plus souffrir du dos. Longtemps, j’en ai pris pour des résultats nuls. Le jour où j’ai compris que ces douleurs étaient à 80% psychosomatiques, j’ai cessé tous les traitements! Et même, si je souffrais, cela passait en refusant la maladie. Mais combien de médicaments j’ai pu absorber pour enrichir les laboratoires. Je n’en veux pas aux médecins, ils sont formés voire formatés pour ce faire….

Laisser un commentaire