Le bonheur pour toujours

Le bonheur pour toujours

Des fois j’ai l’impression que dès que je suis heureuse et que je pense que tout va bien je me mange un chasser dans la gueule

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Je reconnais là un savoir qui crie son absence, qui veut naître en toi. On en a déjà pas mal parlé de vive voix, j’essaye de l’écrire pour le comprendre et pour l’ancrer.

C’est un vieux savoir à la yin yang, à la Yi-King, à la Héraclite : « tout se transforme tout le temps ». Il vaut mieux en avoir conscience, car s’il y a une chose qui est prévisible, une chose qui ne change pas, c’est ça : tout change tout le temps.

C’est un jeu de mots, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire exactement ce que disait le père d’une amie, un sacré dur, sa philosophie de chaque instant en un seul impératif : « Faut pas dormir ! ». Comme tout change tout le temps, il vaut mieux en être conscient tout le temps.

Bavardons.

Quand tu es heureuse, amoureuse, quand tu t’éclates, etc., tu te fais croire que c’est pour toujours, « ça y est, je suis heureuse ! » et tu oublies tous tes malheurs, tu les balayes comme s’ils n’avaient jamais existé et qu’ils ne reviendront jamais. Tu es droguée au bonheur, ce qui est cool, mais tu ne t’en rends pas compte et c’est mauvais car tu sera pas préparée à la descente qui sera d’autant plus dure. Rappelle-toi bien que ce genre de trucs, le « bonheur pour toujours » ça ne marche que dans les contes de fées, les romans à l’eau de rose et les films américains. Dans la vraie vie, c’est de la mauvaise came. Mais pas que ça, le malheur pour toujours c’est aussi de la mauvaise came.

Quant tu galères, que tu es malheureuse, c’est pareil en fait, tu crois que c’est pour toujours : « c’est tout le temps pareil, vie de merde, je ne m’en sortirai jamais », et tu oublies tous tes bonheurs, tu les balayes comme s’ ils n’avaient jamais existé et qu’ils ne reviendront jamais. Tu es droguée au malheur et tu ne t’en rends pas compte.

Dans les deux cas tu fais la même erreur, selon notre ami Rino, tu ne t’en rends pas compte parce que tu dors.

Si tu es éveillée à ces moments-là, alors tu sais que de toutes façons bonheur ou malheur c’est temporaire. C’est ça l’éveil, c’est aussi bête que de savoir tout le temps que « après la pluie vient le beau temps », à condition bien sûr de savoir penser aussi l’inverse « après le beau temps vient la pluie ». L’image du yin-yang pour le changement permanent est le cercle : c’est tout le temps différent, mais ça ne s’arrête jamais de tourner vers le pôle opposé ; quand tu est en bas, cela va remonter ; quand tu es en haut ça va redescendre. N’oublies jamais ça et tu iras mieux. Le plus difficile là-dedans bien évidemment c’est le jamais.

Si quand tu es heureuse, profondément heureuse, tu t’arrêtes un instant pour te dire que c’est un moment qui passera, alors tu es déjà en train de laisser la place aux prochains malheurs, tu te prépares déjà à les recevoir depuis une joie, avec une joie que tu pourras alors te remémorer. Tu te prépares un souvenir heureux pour les jours de pluie. Tu seras plus sereine, plus forte quand arriveront les moments sombres. Et l’inverse est pareil quand, au cœur de ta déprime tu penses qu’elle aura une fin, tu te prépares à vivre mieux ton prochain bonheur, à être plus prudente. Quand ainsi tu t’extrais de ta vie, que tu la regardes en surplomb, tu peux parvenir à la lisser. C’est le contraire de subir, et ça marche même quand on se mange des douches écossaises.

Se regarder pleurer, se regarder rire. J’ai vécu une sortie de thérapie à me regarder déprimer atrocement sur le thème « ma vie, quel gâchis ». Ça a duré des mois et des mois comme ça, c’était interminable, c’était profond, je pleurais pour un rien. Mais en même temps il se passait quelque chose d’extraordinaire : je me regardais être déprimé et une voix me disait que c’était joyeux, que je guérissais. C’est une histoire, c’est extrême, mais c’est l’idée : une part de moi qui était au fond du trou et noyé dans des larmes et des hoquets insurmontables, riait d’un bonheur à venir.

Ça coûte quelque chose de se dire que le bonheur va s’arrêter quand on y est, ça peut donner l’impression d’être son propre rabat-joie. Mais dis-moi, qu’est ce qui est mieux : anticiper que ça va s’arrêter et accompagner ce passage, ou faire semblant que ça ne va pas s’arrêter ? Tu sais ce que c’est d’être buveur compulsif ? C’est boire jusqu’à tomber, pour que ça ne s’arrête pas.

On finit par faire semblant d’être heureux pour pas que ça s’arrête.

Le rapport entre bonheur et malheur a beaucoup à voir avec la drogue. Les scientifiques du cerveau disent que le bonheur c’est de la chimie fabriquée par le corps. C’est un peu court, comme de la science, mais c’est techniquement vrai. Les centres du bonheur et du malheur dans le cerveau sont les mêmes, idem pour ceux du plaisir et de la douleur. Ce sont ces centres que les drogues excitent artificiellement, c’est à dire sans que nos pensées n’y soient pour rien.

Bonheur et malheur sont un peu comme la dope : un coup c’est le high, un coup c’est le bad de la descente. C’est aussi simple que « ce soir je m’en mets une grave, forcément demain je serai mal ». Des fois je me dis qu’on se défonce aussi pour ça, pour le lendemain à comater, pour le drame aussi, pour la culpabilisation, la guérison, et tout ça : bêtement parce que ça occupe l’esprit. Ça c’est quand on a peur de s’ennuyer, d’être en face de soi, c’est je crois un mobile majeur qui conduit a se droguer.

La dope c’est pareil que le bonheur sauf que, comme c’est artificiel et addictif, tu n’accèdes pas correctement à ce qui fait améliorer la vie, tu fais l’inverse en fait. Oh, je ne condamne pas la défonce en vrac, ça serait dogmatique et moraliste, ce serait dirigiste, mais nous savons tous deux comme c’est tellement facile à prendre et comme c’est tellement impossible à gérer quand on a une vie bordélique, même rien qu’un peu. En fait je ne connais strictement personne capable d’employer correctement la dope, sauf peut-être rituellement dans certaines contrées du monde. Des fois j’y arrive : je bois une demi-bière « technique », c’est à dire comme un médicament, parce que je sais que si je me sens trop maussade ça modifiera mon comportement, ça me rendra joyeux pour entrer dans une convivialité que je souhaite.

Ainsi, quand tu penses : « je suis amoureuse », sans avoir conscience qu’en réalité tu l’as décidé et que c’est pour des raisons pas nécessairement claires (on est dans le psy, voire pourquoi pas le mensonge à soi-même, etc.), c’est pareil… Tu t’en mets une et forcément demain tu seras mal : tu ne sais pas gérer ta dope. Être en couple ce n’est pas se doper, c’est un choix mûri sur le long terme avec des projets raisonnables, pas un pari. Il faut avoir vécu des tas de cycles ensemble, tu en sais quelque chose, mais des fois tu enfouis cette connaissance pas très agréable, tu oublies d’être éveillée.

La drogue, le fait de se droguer à tout ce qu’on veut n’est pas une maladie, c’est un symptôme d’une maladie. S’observer le faire est important. Savoir que le contexte nous y ramène est important. Chercher à comprendre la vraie maladie est important. Se connaître est important. Heureusement qu’on vieillit, on y gagne, mais il est bon aussi d’œuvrer à soi même. Je parle à quelqu’un qui sait cela. Des fois il faut dire ce que les gens savent déjà, pour mettre en valeur l’important.

Quand tu augmentes ta durée d’éveil, quand tu relativises ton bonheur et ton malheur par la conscience d’y être, tu peux commencer, ou continuer, à voir et à prévoir ce qui est vraiment important pour toi, ce que l’on appelle les rêves ou les aspirations. Tu n’en manques pas, c’est le plus important, sans ça je ne te parlerais pas comme je le fais. C’est aussi ce que l’on appelle le désir. Ce désir, n’est rien à lui seul ; il te sert, mais faut le mettre en forme.

Dans tes hauts et tes bas, si tu as le désir, alors tu as une constante qui te tire vers quelque chose, vers le haut. Tu comprends l’ambiguïté du désir. Qu’il soit sexuel ou tout autre n’est pas la question : il peut être inverti, malade, comme dirait l’autre, Freud, le désir de mort existe aussi, tu l’as déjà croisé chez les plus désespérés.

Si l’on revient au cercle, il s’agit de le compléter avec cette autre notion, « aller vers le haut ou vers le bas » et l’on obtient ainsi un autre grand classique de la sagesse : la spirale. A chaque tour du cadran que tu fais, tu t’augmentes, tu t’améliores, tu grandis, ta spirale s’élargit. Si elle n’arrive pas à s’élargir pendant trop longtemps, on peut finir par mourir de suicide, c’est tout, c’est comme ça, tu as vu et ce n’est pas pour toi. Si parfois ta spirale se rétrécit un peu, tu peux le prendre comme une respiration : la prochaine fois tu l’élargiras encore plus loin, tu le sais. Çà t’es déjà arrivé souvent, pas vrai ?

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